mardi 16 avril 2013

Contre les mariages prostitutionnels - Les enfants, premières victimes de la prostitution de leurs parents.

Cet article est un partie de "Contre les mariages prostitutionnels".


« [Gomer] conçu et lui enfanta un fils. Et le Seigneur dit à Osée : « Donne-lui le nom d’Izréel » (…) Elle conçut encore et enfanta une fille, et le Seigneur dit à Osée : « Donne-lui le nom de Lo-Rouhama, c'est-à-dire non-aimée » (…) puis elle conçut et enfanta un fils. Et le Seigneur dit : « Donne-lui le nom de Lo-Ammi, c'est-à-dire pas-mon-peuple » (…) Les fils de Juda et les fils d’Israël se réuniront, ils se donneront un chef unique et ils submergeront le pays : car grand sera le jour d’Yzréel. Dîtes à vos frères « Ammi, mon peuple », et à vos sœurs : « Rouhama, bien aimée ». » (Os. 1,3-4 ; 6 ; 9 ; 2,2-3)

 
La manière dont Osée nomme ses enfants est choquante. Yzréel est le nom d’une bataille sanglante, d’un massacre fait au nom de Dieu (2Roi 9), comme si on appelait aujourd’hui un enfant « Saint-Barthélemy » ou « Croisade ». Lo-Ammi, peut être traduit par « pas-mon-peuple » ou « non-parent ». De toute manière cela voudrait dire qu’Osée rejette tout lien d’appartenance avec cet enfant. Enfin, peut être le plus choquant, nommer une fille « non-aimée », que dans son nom soit inscrit qu’il n’est pas possible de l’aimer. Bien sûr au sens métaphorique ce geste indique ce qui se passe dans l’humanité quand elle se livre à la prostitution, c'est-à-dire à l’idolâtrie : elle est en prise aux violences, pire elle justifie ces violences au nom de Dieu ; elle ne constitue pas de peuple uni, en tout cas ce n’est pas le peuple de Dieu ; elle est incapable d’aimer et Dieu n’aime pas ce qu’elle fait. Mais ce geste peut aussi nous avertir de ce qui se passe très concrètement avec la prostitution : elle a des effets sur les enfants. La violence que subissent les personnes prostituées, leurs enfants la subissent aussi. Comme toutes victimes de violence, les personnes prostituées sont souvent violentes à leur tour, y compris vis-à-vis de leurs enfants. Dans un contexte où l’amour érotique est perverti par le mensonge qu’il pourrait se monnayer, les autres relations d’amour ont tendance aussi à être tordue, l’amitié mais aussi l’amour filial. Il n’est pas rare de voir des enfants de personnes prostituées devenir, sinon de manière consciente au moins de fait, les proxénètes de leur parent. La prostitution impacte aussi les enfants des clients-prostitueurs. Dans des cas extrêmes nous voyons un père initier son fils à la sexualité en l’emmenant au bordel. Mais sans que l’initiation soit prise en charge de manière aussi directe, on voit bien comment un grand nombre de jeunes hommes sont initiés à la sexualité à travers le regard instrumentalisant sur les femmes que portent les modèles virils qui les entourent. A bien y réfléchir, le lien entre la lecture littérale des implications de la prostitution des parents sur leurs enfants et la lecture allégorique n’est pas qu’analogique ou métaphorique. A partir du moment où la violence et la perversion de toute relation d’amour se transmet à travers les générations, il est aisé de concevoir qu’elles diffusent non seulement dans le temps mais aussi à travers le corps social. Préserver les enfants de la prostitution et des logiques prostitutionnelles est donc un vrai défi pour les familles et pour l’Eglise.
Or Osée fait une promesse : Yzréel, le lieu où ont été commises les pires violences, là même où pourtant le rédacteur du deuxième livre des Rois voit un acte réellement voulu par Dieu puisqu’Elisée a oint Jéhu, mais que Dieu dénonce par la bouche d’Osée1, à cet endroit l’humanité croyante se réunira dans la paix2 ; elle constituera un peuple, une parenté, une fraternité ; elle sera aimée et aimable. Cette promesse fait partie du registre des promesses de Salut dans la Bible. Dans le cadre des prophéties d’Osée, elle ne se réalisera pas. Dans la vie personnelle d’Osée, on a plutôt l’impression qu’il ne parvient pas à séduire Gomer à nouveau. Dans l’histoire d’Israël, contemporaine d’Osée, Samarie est finalement envahie, détruite et son peuple dispersé. Dans le cadre de mon engagement militant au Mouvement du Nid, je participe aussi à des actions de sensibilisation auprès de jeunes à propos de la prostitution. On pourrait avoir un sentiment d’impuissance. Les logiques favorables à la prostitution sont tellement puissantes que nos faibles paroles ne semblent pas faire le poids. Non seulement, quand il s’agit d’informer sur la prostitution, les media se positionnent plutôt du côté de la promotion du système proxénète, mais on peut avoir l’impression que la propagande pornographique est omniprésente dans la culture contemporaine : publicité mettant en scène le corps de la femme selon des codes pornographiques, la morale dominante semble dire que la raison du plus riche l’emporte, les auteurs de violence semblent à ce point légitimés que la honte est du côté des victimes et qu’on voit même des courants de pensée croire défendre celles-ci en niant leur statut de victime. C’est peut être l’enjeu central de la foi : parvenir à ne pas oublier quel est le vrai visage de l’humanité en se fiant à une telle promesse. Réussir aussi à voir la réalisation de cette promesse dans des signes qui montrent la beauté de l’humanité malgré tout ce qui la défigure.

Ces trois enfants sont-ils bien les enfants d’Osée ? Au deuxième verset du livre d’Osée, sa vocation est de prendre en sa maison « des enfants de prostitution ». Il n’est jamais dit que Gomer conçu d’Osée. Dans un premier temps, Osée se comporte comme s’il n’était pas le père de ces enfants. Dans les noms qu’il leur donne il refuse être leur parent, il refuse de les aimer, il les associe à la violence commise par les hommes de son temps. Cette attitude ne l’avons-nous pas envers nos enfants ? Je pense en particulier à l’effroi de certains adultes face à l’agressivité manifestée par certains jeunes, et l’intolérance voir la violence qui découle de cet effroi. Pourtant comment peut-on charger des jeunes, qui ont peut être quatorze ans au plus, d’une intentionnalité « de barbares voulant détruire la civilisation » ? Ne sommes-nous pas nous les barbares à les rejeter, à exiger d’eux plutôt que de nous des preuves d’humanité ? 

Finalement, dans une perspective eschatologique, Osée adopte ses enfants. Ils deviennent ses enfants une fois qu’il reconnaît qu’ils lui sont apparentés, à partir du moment où ils les aiment. Alors le lieu où se sont commises les pires violences pourrait devenir aussi le lieu où se nouera la paix sur terre. Ceux qui trouveront une solution à nos violences, ce seront nos enfants, ou leurs enfants, personne d’autre. Encore faut-il se fier à eux, leur transmettre la soif d’un monde sans violence. A l’instar d’Osée, ne sommes-nous pas appelé à adopter nos enfants, quand bien même nous serions sûrs d’être leur parent biologique ? En quoi d’ailleurs le partage d’un patrimoine génétique rend-il parent ? Cette obsession pour la filiation biologique n’est-elle pas plutôt un obstacle à la juste adoption de nos enfants ? Certes les femmes n’ont aucun doute sur leur maternité biologique. Mais l’angoisse des pères pour lever leur doute n’a-t-il pas des conséquences catastrophiques ? Car le processus multiséculaire d’un contrôle accru des hommes sur les femmes n’a-t-il pas pour moteur cette obsession à être sûr de la paternité3 ? Ce doute sur la paternité est à proprement parler un manque de foi. Manque de foi vis-à-vis des femmes qui participe à la violence degenre que nous avons dénoncé plus haut. Manque de foi également vis-à-vis des enfants. Car enfin quelle importance cela fait que nous ayons vraiment des liens génétiques avec les enfants qui nous sont donnés ? Cette obsession de la paternité n’est-elle pas une forme d’idolâtrie qui empêche d’accueillir les enfants tels qu’ils sont, et non pas comme nous voudrions qu’ils soient ? Car quand bien même nous serions assurés leur être génétiquement apparentés, il nous faut les accueillir comme des êtres absolument nouveaux, ce qu’ils sont. Nous cherchons sur leur visage des ressemblances : « il a le nez de son père » ; « elle a les yeux de sa mère et le lobe d’oreille droite de son grand-père… ». Mais comment ne voyons-nous pas que leur visage est absolument nouveau, original, inédit ? Comment même cette quête de la ressemblance nous fait manquer le plus surprenant et le plus merveilleux dans un visage de nouveau-né : son absolue originalité ! Or, à l’instar des enfants d’Osée, l’homme par excellence selon notre foi chrétienne, Jésus-Christ, n’a-t-il pas été adopté ? Nous voyons en Marie un modèle de foi, et c’est juste. Mais quel modèle de foi pour les pères nous est proposé en Joseph ! Combien de doutes virils aurait-il pu « légitimement » avoir ! Une mère vierge ? En tout temps et en tout lieu, un homme qui accueillerait un enfant d’une femme en croyant une telle fable est la risée de ses pairs. Pourtant Joseph s’est fait père pour cet enfant, et peut être à ce titre meilleur père que les hommes gonflés de leur certitude virile sur la puissance réalisée de leur sperme. Surtout, il a été père sans faire obstacle au vrai Père de Jésus. Sa manière d’éduquer Jésus, manifestement, n’a pas empêché ce dernier de découvrir sa vraie filiation. Pour nous autres chrétiens qui croyons être enfant de Dieu par le baptême, qui n’hésitons pas pour la majorité d’entre nous à baptiser très jeunes nos enfants, avons-nous tout à fait conscience de cet enjeu ? Nos enfants sont engendrés par une parenté plus importante que la parenté biologique : ils sont appelés à être fils et filles de Dieu.
 
Il me semble que cette spiritualité de la parentalité comme une adoption est libérante. Libérante pour les enfants au premier titre qui ne sont plus soumis à la dictature des déterminismes biologiques et culturelles. Libérante aussi pour les parents, qui non seulement sont libérés de l’obsession de la paternité, ce qui a aussi des effets libérants sur les relations dans le couple, mais surtout ne sont pas comptables de tout ce que deviendront leurs enfants. Je pense notamment aux parents nombreux qui désespèrent de voir leurs progénitures s’éloigner de l’Eglise. Or leurs enfants souvent vivent nombre de choses dont ils pourraient rendre grâce à la lumière de l’Evangile. Le témoignage de Foi n’est pas la transmission d’une croyance en un dogme. C’est donner envie de continuer le chemin de libération entrepris dans sa propre vie, et donc partager la motivation qui était le moteur de ce combat : désir de vie, aspiration à plus grand... Nos enfants peuvent se révélé être nos devanciers sur le chemin de Foi. Jésus ne nous montre-t-il pas l’enfant comme un modèle de Foi ? Le poète le dit aussi de manière magnifique :

« Comme un violent orage

nous avons agité

tout l'arbre de la vie,

secoué au plus caché

les fibres des racines,

et déjà te voici

chantant parmi les feuilles,

sur la plus haute branche

que tu nous fais atteindre. »4

J’en suis à me demander si cela ne fait pas partie du péché à l’Esprit dénoncé par Jésus que de manquer de foi en ses enfants.

1 « Car un peu de temps et je ferai rendre compte à la maison de Jéhu du sang d’Yzréel et je mettrai fin à la royauté de la maison d’Israël. Il arrivera en ce jour-là que je briserai l’arc d’Israël dans la vallée d’Yzréel » Os. 1,4-5
2 « La maison de Juda, je l’aimerai et je les sauverai par le Seigneur leur Dieu, je ne les sauverai ni par l’arc ni par l’épée ni par la guerre, ni par les chevaux, ni par les cavaliers » Os. 1,7 ; la promesse qui est faite à Juda et refusé à Israël dans un premier temps, on peut penser qu’elle est reprise en Os. 2,2 quand Juda et Israël seront réunifiés. Ce qu’il est important de noter, et qui est répété plusieurs fois dans le livre d’Osée, le salut ne sera pas donné ou obtenu par la violence, surtout pas la violence guerrière.
3 Je suis sur cette question la thèse d’Emmanuel Todd dans son dernier ouvrage « origine des systèmes familiaux », à savoir que contrairement à une idée reçue, les systèmes familiaux traditionnels du centre du continent eurasiatique ne sont pas des modèles anthropologiques anciens pour l’humanité. Au contraire ils sont les résultats les plus aboutis d’une longue histoire de complexification. Au contraire les modèles familiaux que l’on trouve en marge du continent relève de reliquat des modèles familiaux les plus anciens. Les familles communautaires patriarcales sont donc des types familiaux les plus éloignés des types familiaux originels. Au contraire, les familles nucléaire bilatérale (où l’homme et la femme ont la même importance, ou une importance indifférenciée, dans l’organisation de la famille et la transmission des patrimoines) sont le type le plus proche de ce qu’à pu connaître l’humanité paléolithique.
4 Pablo Neruda ; Le Fils.



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